plaisir et jouissance


Plus ou moins allongés, convexes ou bien droits, ils sont exposés en vitrine, élégamment emballés. Dans les deux pharmacies de la gare Termini à Rome, les vibromasseurs trônent désormais entre les chaussures orthopédiques, les préservatifs ou les pâtes dentifrices. Y compris dans l'officine Christ-Roi des cheminots située dans le sous-sol de la stazione. «Malheureusement», lâche une employée visiblement contrariée par l'initiative.

L'accord entre la société Durex et l'agence pharmaceutique de la mairie de Rome autorisant la vente de jouets sexuels a de facto provoqué une petite polémique sur les rives du Tibre et à l'ombre du Vatican. «C'est une décision de mauvais goût. Les vibromasseurs sont davantage des objets destinés aux sex-shops qu'aux pharmacies», s'est insurgé le responsable de Federfarma, Girgio Siri. «Les pharmacies sont un anneau de la chaîne qui protège la santé publique», lui a fait écho Giacomo Leopardi, président de la fédération de l'ordre des pharmaciens italiens allant jusqu'à dénoncer, solennel : «Les vibromasseurs corrompent l'identité des pharmacies et en violent l'autorité. »La droite municipale s'est également manifestée contre l'initiative. «Des vibromasseurs pour tout le monde ! J'imagine déjà le dessin et le slogan des prochaines affiches électorales du maire sortant (Walter Veltroni, gauche, ndlr)», a notamment ironisé le conseiller (Alliance nationale, droite) Giuseppe Sorrenti.

Conséquence de ce débat ou simple désintérêt pour le produit ? Quoi qu'il en soit, la gamme de vibros (qui coûtent entre 65 et 75 euros selon le modèle et 7 euros pour «l'anneau stimulant») ne se trouve pas dans toutes les bonnes pharmacies. Dans l'officine située devant le Sénat italien, on affirme ne pas en avoir été sollicité par le distributeur. Dans le centre de Rome, rue de la Truie, non plus, les vibromasseurs féminins n'ont pas droit de cité. «Mais pas pour une question de morale, assure le propriétaire de l'établissement. Simplement, il n'y a pas de véritable marché. A quoi bon s'encombrer de produits que personne n'achète. Si un client nous en fait la demande, nous passerons commande.» A la gare de Rome, en revanche, on a accepté de jouer le jeu. Dans l'officine, située à proximité des quais, les vibromasseurs, conçus par l'agence de design Seymour Powell et accompagnés du slogan «It's time to change your toys» («il est temps de changer vos jouets») sont exposés comme tout autre produit.

«C'est une chose normale, il s'agit d'un objet sanitaire comme un autre, indique Daniela, l'une des responsables de l'établissement. Il faut arrêter d'être hypocrite. Aujourd'hui, on demande aux pharmacies d'être comme des supermarchés, alors pourquoi pas des vibromasseurs ?» Daniela a également refusé de mettre les «jouets sexuels» dans un recoin, à l'écart : «Si c'est pour les cacher, mieux vaut ne pas en commander.»

Reste que pour l'heure, les niveaux des ventes des vibromasseurs ne semblent pas avoir atteint le nirvana. «Depuis le début de l'année, nous en avons vendu quatre, notamment à un client étranger et à une femme d'un certain âge. Il nous en reste deux en stock», calcule Daniela qui précise toutefois n'avoir reçu aucune plainte : «Pas un seul client ne s'est scandalisé. Les hommes politiques qui protestent sont en campagne électorale, sourit-elle, mais cela ne m'étonnerait pas qu'ils aient eux aussi un vibromasseur dans leur tiroir.» Devant la vitrine de la pharmacie, Marta, une jeune Italienne d'origine éthiopienne, trouve d'ailleurs la démarche particulièrement louable : «Il vaut mieux que les vibromasseurs soient vendus en pharmacie, c'est une garantie d'hygiène et de sécurité.»

«Nous ne craignons pas la concurrence», a de son côté répliqué la propriétaire de Beautifull, l'un des rares sex-shops de la capitale italienne : «Nous avons une centaine de modèles différents qui seront moins anonymes que ceux des pharmacies.» Le distributeur italien de vibros, également vendus sur l'Internet, n'est pas mécontent de l'actuelle polémique alors qu'aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Allemagne et au Canada où les sex toys sont déjà en pharmacie, l'initiative n'a suscité aucun remous.

Après avoir souligné que cinq cents pharmacies sont déjà concernées dans toute la péninsule, l'administrateur délégué de Durex Italy, Roverto Veneziani, a reconnu : «Pour nous c'est une occasion unique de parler d'un de nos produits dans un pays où il est très difficile de le faire. Je suis convaincu que les polémiques susciteront la curiosité de nombreuses personnes.» Est-ce par crainte de tenter le diable et les diablesses? En tout cas, la hiérarchie catholique, elle, n'a pas réagi.

Eric JOZSEF LIbération : samedi 15 avril 2006
Dim 23 avr 2006 Aucun commentaire