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L'article est long je sais mais instructif pour ceux qui ne l'aurait pas lu cette été. Allez bonne lecture
bisous a tous
La danse sur le dernier Kylie Minogue. Ça mate, ça clope et ça carbure au whisky coke. Ambiance de soirée étudiante avec quelques parents grisonnants égarés au bar. Les conversations glissent: études, boulot, projets de vacances Mais la voisine doucement simpatiente: «Allez ma puce, dit-elle dune voix de miel, on va soccuper de toi.» Elle est ronde, et blonde. Débardeur, bottes en cuir, jupe ultracourte à même la peau. Elle sappelle Emmanuelle et vous dévisage de ses grands yeux noirs. 20ans à tout casser. Le copain lenlace tendrement. «Jadore. Elle est complètement épanouie depuis que je lai amenée ici.» Ici, à lOverside, ils retrouvent leurs amis, Isabelle et Dan, boulangers à Aubervilliers, Marc, le photographe, et sa dernière conquête, une liane aux cheveux bruns, étudiante en droit. Ensemble, et avec dautres, ils vont «séclater» au fond du couloir, dans les coins câlins. Baisers, caresses et plus si affinités. Ça ne change rien à leur amour, au contraire, ça la renforcé, disent-ils: «Cest fini, on ne vit plus comme nos parents. Nous, on est mariés, mais pas question de baiser pendant quarante ans avec la même personne. Il faut vivre avec son temps.»
Et lépoque commande du sexe, toujours plus, plus ludique, plus exotique, plus extatique.Sans tabous, sans limites, rien que du plaisir. Cest le refrain du moment partout, pub, télé, radio, cinéma, littérature
Houellebecq et les cercles branchés de «Nova Mag» ou de «Paris dernière» ne sont plus les seuls à vanter les mérites de la partouze
Même aux «ZAmours», le «Tournez manège» moderne de France 2, on se demande si «on la déjà fait à plusieurs?», «rien quentre femmes?», et «quest-ce que ça fait?». Sur internet, des milliers de sites, dassociations, de forums détaillent les mille et une façons de faire exploser sa libido. La France entière, jusque dans les cours décole ne parle plus que de ça, «triolisme, échangisme, gang bang. A quatre pattes, par devant, par derrière
». Simples provocs de langage? Suite, après la parenthèse noire des années sida, du «jouissons sans entrave» de Mai-68? Symptôme dune société minée par la peur de vieillir? Comment expliquer ce nouveau vent apparent de liberté sexuelle? Qui le porte? Et qui en profite réellement?
Les adeptes de léchangisme, du mélangisme, du SM, les «nouveaux libertins», comme ils aiment quon les appelle, sont désormais des gens de tous âges et de tous milieux, ingénieurs, RMIstes, et même ministres (voir encadré), profs, employés, ouvriers
«Il y a une véritable démocratisation de ces pratiques, qui doivent aujourdhui concerner plus de 400000personnes dans toute la France, indique le sociologue Daniel Welzer-Lang, professeur à luniversité de Toulouse-le-Mirail. Beaucoup de gens y viennent par curiosité. Ils se disent quil faut au moins essayer, tenter une relation à plusieurs ou une expérience homo. Les relations bisexuelles ont ainsi, par exemple, beaucoup augmenté.» Isabelle Million a fondé en 1994 Couples contre le Sida, une association qui soccupe de prévention dans les clubs échangistes et, lété, sur les plages bondées du Cap-dAgde. «Le milieu sest considérablement renouvelé. Nous voyons aujourdhui de jeunes gens qui nont parfois que 18 ou 20ans.» Les anciens comme Roger, instituteur à Vannes, sy perdent: «Les femmes se lâchent complètement. Et maintenant on a aussi des gamins. Eux, ils sont souvent voyeuristes ou exhibitionnistes. Il y a trente ans, cétait moins compliqué!» Traduisez plus fraternel, plus «peace and love» sans doute, mais aussi plus caché. Fini aujourdhui les petites annonces en langage codé: dans «Swing», les textes sont illustrés, madame fesses en lair, monsieur en action. Et on séchange parfois sur internet les gags de la dernière «touze entre amis», photos numériques à lappui. Echangiste, ça nest plus vraiment transgressif. Témoignage dun organisateur de soirées: «Cest banal, comme le devient peu à peu le SM.» On en parle facilement, on en est souvent fier, parfois indifférent. Conception, 37ans, vingt ans de mariage et quatre enfants, habite près de Rouen. «Voilà, on faisait une soirée entre amis, on avait un peu picolé. Et on sest dit soudain: "Tiens, si on faisait une partouze." On en avait tellement entendu parler dans les films, à la télé.» Elle hausse les épaules: «Voilà. Rien doriginal. On voulait élargir la vie sexuelle. Et puis, comme on dit, il ny a pas de mal à se faire du bien.» De nombreux échangistes racontent quils se sont lancés, comme ça, presque par hasard. Mais, en fait, la décision a souvent été longuement mûrie. Les femmes ont, pour la plupart, mis du temps avant daccepter un fantasme, qui reste encore essentiellement masculin. Patricia, employée dans une maison de retraite, a longtemps résisté. Faire lamour à plusieurs? Impensable quand on a été élevée chez les surs et mariée à 19ans. Et lapproche de la quarantaine la fait méditer: «Je me suis dit: "Merde, je vieillis, il ne faudrait pas passer à côté de certaines choses." Jai essayé. Fabuleux, ma vie a complètement changé.»
Chacun son histoire, et sa formule: soirées en club ou buffet campagnard à domicile, deux fois par semaine ou deux fois par an, triolisme, échangisme, mélangisme, à tendance SM ou fétichiste
Mais les mêmes expressions reviennent, comme une leçon apprise par cur. «Faut pas mourir idiot.» Cest comme une «cerise sur le gâteau», qui vient «briser la routine», mettre du «piment dans le couple». Ceux-là ont trouvé leur solution au grand dilemme de lHomme moderne, «le besoin de se ressourcer dans un cocon et de vivre sans cesse de nouvelles sensations» (voir lentretien avec Willy Pasini). Et lamour dans tout ça? «Rien à voir avec le sexe», répètent-ils. Eux, ils saiment et, croyez-les, bien plus que ceux qui mènent une double vie. Eux, ils saiment et, croyez-les, bien plus encore depuis quils partagent ces petites gâteries. «Je regarde aujourdhui mon épouse comme je ne le faisais plus depuis longtemps, sétonne Pierre, un chauffeur de taxi marié depuis vingt ans. Il marrive même de me réveiller la nuit pour lui caresser les cheveux.» Claire, 26ans, infirmière: «Ça a complètement sauvé notre couple. On sest redécouvert. On a retrouvé du désir lun pour lautre.» Et le plaisir ultime, tous, hommes et femmes, le disent, cest de se retrouver dans le lit conjugal après une belle partie de jambes en lair. Revanche de la vie simple sur les grands frissons. Jacques, un gaillard du BTP, rencontré un soir dans lun des plus anciens clubs échangistes de Paris: «On est là seulement pour jouir les uns des autres. Tout ça, cest rien. Seulement un jeu.»
Une minorité joue à se faire plaisir en bravant les conventions et les interdits. Quoi de plus légitime finalement. Certes, mais au temps de lindividualisme triomphant, à lheure où chacun cherche à se différencier, ces comportements risquent de devenir une tendance, une mode et peut-être même une norme.A force den parler, de les valoriser, ils pourraient bien influer de manière insidieuse sur nos vies.Pour le philosophe Dominique Folscheid (voir entretien), « ils ont déjà contribué à complètement bouleverser limaginaire amoureux de lépoque ». Ils viennent encore renforcer le discours ambiant du «tout faire, tout essayer». Lidée quune vie réussie passe obligatoirement par une sexualité de folie. Quil faut coûte que coûte entretenir le désir, satisfaire ses fantasmes et jouir, jouir jusquà 80ans. Selon Philippe Brenot, directeur denseignement en sexologie à luniversité Paris-V, «ce vent de liberté culpabilise une bonne partie des gens. La banalisation dans le langage des pratiques échangistes, SM, du porno crée de nouvelles normes». Le sexologue Jacques Waynberg va plus loin: «La moindre défaillance du désir est devenue suspecte. Les couples passent leur temps à faire un audit sur la qualité de leur vie sexuelle. Le smic traditionnel: un ou deux rapports par semaine de sept minutes et demie nest plus acceptable. Tant mieux, à condition de ne pas sombrer dans langoisse et lobsession.»
Dans le secret de leur cabinet, les spécialistes sont confrontés désormais à détranges questions: «Trois fois par mois, cest grave docteur?» «Je nai pas un orgasme à chaque fois
» «Je nai pas envie dessayer lamour à plusieurs, cest normal?» Ces patients-là ignorent que dautres demandent de laide parce quà 40ans déjà ils nont plus jamais envie, ou parce quà 25 ils ont peur de faire lamour. Non, tout le monde na pas la vie sexuelle de Catherine Millet. Mais personne nose le dire. Les fantasmes de lépoque exercent une pression insoupçonnable. Cest le thème de «Sept Ans de mariage», le dernier film de Didier Bourdon, sauvé par Catherine Frot, excellente en grande bourgeoise coincée. Son mari, médecin, décide de tout lui infliger films pornos, sex-shop et boîtes échangistes pour réveiller sa libido
Ce mauvais scénario se produit aussi, parfois, dans la vraie vie. Alexandra, 21ans, est serveuse dans un restaurant près dAmiens. Son copain, éducateur, a récemment vu le documentaire de Daniel Karlin, «Et si on parlait damour», qui aurait pu sintituler «Et si on parlait déchangisme»
Un soir, il lui a confié que lui aussi aimerait bien essayer: «Tu sais, ça se fait maintenant.» Elle a fini par se laisser entraîner. «Jai juste accepté de me faire caresser, pour lui. Cest vraiment pas mon truc, mais je crois que je ne vais pas pouvoir y couper
» Sur les forums de discussion, des internautes sinterrogent: «Avez-vous déjà eu une expérience à plusieurs? Mon mec le demande? Quest-ce que je dois faire?» «Les femmes seront les grandes perdantes, sinquiète le psychiatre Philippe Brenot. Elles vont croire quil faut en passer par là pour ne pas perdre leur compagnon, comme elles se sentent aujourdhui obligées daccepter la fellation ou la sodomie.»
Mais la pression ne vient plus seulement des hommes. Nathalie a la trentaine, deux enfants, un poste de direction dans un hôpital. Une vie heureuse mais un peu morne, un désir qui sémousse: «Je commençais à regarder autour de moi pour la première fois après dix ans de mariage.» Léchangisme, dont lui avait parlé un ami, lui a paru soudain moins impensable. Elle a convaincu son mari daller dans un club «comme ça, par curiosité». Lui qui navait jamais fumé a vidé la moitié dun paquet de cigarettes. Et il na jamais pu lui faire lamour.
Beaucoup de couples reviennent emballés de ces expériences, mais dautres se perdent. Jalousie, traumatisme de voir lautre dans des bras inconnus, crainte de ne plus être aimé ou de ne plus savoir aimer
«Il faut avoir une grande maturité affective et érotique pour aller dans ce genre dendroits», prévient le sexologue Jacques Waynberg. «Surtout, ne pas sy aventurer pour sauver son couple.» Julien, 24ans, un visage denfant sous des airs de play-boy, a goûté aux clubs échangistes entraîné par son directeur de stage. Ses copains de fac lécoutaient, verts de jalousie, raconter ses aventures. Et puis Julien est tombé amoureux. Au bout de six mois, il a voulu initier sa copine. Leur histoire sest aussitôt terminée. «Je nai pas supporté de la voir prendre son pied avec un autre.» Julien ne sait pas sil pourra, un jour, nouer une relation stable. «Je me lasse très vite. Je narrive plus à rester six mois avec une même nana. Jai peur.» Il réalisera sans doute un jour que la routine népargne personne, même les plus grands libertins. Martine, kiné dans la région dAix-en-Provence, a donné dans léchangisme pendant dix ans avec son mari, prof dart dramatique. Elle sest convertie au départ pour lui et sy est beaucoup plu: de belles rencontres, des fêtes, le plaisir dêtre constamment convoitée
Mais, aujourdhui, la jeune femme est lasse: «Jai limpression quon ma lâchée dans une pâtisserie alors que je navais pas spécialement faim. Jai mangé tous les gâteaux et je suis écurée. Maintenant, jai simplement besoin damour.»
Semaine du jeudi 24 juillet 2003 - n°2020 - Le Nouvel Observateur
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