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Mercredi 12 janvier 3 12 /01 /Jan 00:00

L'article est long je sais mais instructif pour ceux qui ne l'aurait pas lu cette été. Allez bonne lecture

bisous a tous

La danse sur le dernier Kylie Minogue. Ça mate, ça clope et ça carbure au whisky coke. Ambiance de soirée étudiante avec quelques parents grisonnants égarés au bar. Les conversations glissent: études, boulot, projets de vacances… Mais la voisine doucement s’impatiente: «Allez ma puce, dit-elle d’une voix de miel, on va s’occuper de toi.» Elle est ronde, et blonde. Débardeur, bottes en cuir, jupe ultracourte à même la peau. Elle s’appelle Emmanuelle et vous dévisage de ses grands yeux noirs. 20ans à tout casser. Le copain l’enlace tendrement. «J’adore. Elle est complètement épanouie depuis que je l’ai amenée ici.» Ici, à l’Overside, ils retrouvent leurs amis, Isabelle et Dan, boulangers à Aubervilliers, Marc, le photographe, et sa dernière conquête, une liane aux cheveux bruns, étudiante en droit. Ensemble, et avec d’autres, ils vont «s’éclater» au fond du couloir, dans les coins câlins. Baisers, caresses et… plus si affinités. Ça ne change rien à leur amour, au contraire, ça l’a renforcé, disent-ils: «C’est fini, on ne vit plus comme nos parents. Nous, on est mariés, mais pas question de baiser pendant quarante ans avec la même personne. Il faut vivre avec son temps.»


Et l’époque commande du sexe, toujours plus, plus ludique, plus exotique, plus extatique.Sans tabous, sans limites, rien que du plaisir. C’est le refrain du moment partout, pub, télé, radio, cinéma, littérature… Houellebecq et les cercles branchés de «Nova Mag» ou de «Paris dernière» ne sont plus les seuls à vanter les mérites de la partouze… Même aux «Z’Amours», le «Tournez manège» moderne de France 2, on se demande si «on l’a déjà fait à plusieurs?», «rien qu’entre femmes?», et «qu’est-ce que ça fait?». Sur internet, des milliers de sites, d’associations, de forums détaillent les mille et une façons de faire exploser sa libido. La France entière, jusque dans les cours d’école ne parle plus que de ça, «triolisme, échangisme, gang bang. A quatre pattes, par devant, par derrière…». Simples provocs de langage? Suite, après la parenthèse noire des années sida, du «jouissons sans entrave» de Mai-68? Symptôme d’une société minée par la peur de vieillir? Comment expliquer ce nouveau vent apparent de liberté sexuelle? Qui le porte? Et qui en profite réellement?
Les adeptes de l’échangisme, du mélangisme, du SM, les «nouveaux libertins», comme ils aiment qu’on les appelle, sont désormais des gens de tous âges et de tous milieux, ingénieurs, RMIstes, et même ministres (voir encadré), profs, employés, ouvriers… «Il y a une véritable démocratisation de ces pratiques, qui doivent aujourd’hui concerner plus de 400000personnes dans toute la France, indique le sociologue Daniel Welzer-Lang, professeur à l’université de Toulouse-le-Mirail. Beaucoup de gens y viennent par curiosité. Ils se disent qu’il faut au moins essayer, tenter une relation à plusieurs ou une expérience homo. Les relations bisexuelles ont ainsi, par exemple, beaucoup augmenté.» Isabelle Million a fondé en 1994 Couples contre le Sida, une association qui s’occupe de prévention dans les clubs échangistes et, l’été, sur les plages bondées du Cap-d’Agde. «Le milieu s’est considérablement renouvelé. Nous voyons aujourd’hui de jeunes gens qui n’ont parfois que 18 ou 20ans.» Les anciens comme Roger, instituteur à Vannes, s’y perdent: «Les femmes se lâchent complètement. Et maintenant on a aussi des gamins. Eux, ils sont souvent voyeuristes ou exhibitionnistes. Il y a trente ans, c’était moins compliqué!» Traduisez plus fraternel, plus «peace and love» sans doute, mais aussi plus caché. Fini aujourd’hui les petites annonces en langage codé: dans «Swing», les textes sont illustrés, madame fesses en l’air, monsieur en action. Et on s’échange parfois sur internet les gags de la dernière «touze entre amis», photos numériques à l’appui. Echangiste, ça n’est plus vraiment transgressif. Témoignage d’un organisateur de soirées: «C’est banal, comme le devient peu à peu le SM.» On en parle facilement, on en est souvent fier, parfois indifférent. Conception, 37ans, vingt ans de mariage et quatre enfants, habite près de Rouen. «Voilà, on faisait une soirée entre amis, on avait un peu picolé. Et on s’est dit soudain: "Tiens, si on faisait une partouze." On en avait tellement entendu parler dans les films, à la télé.» Elle hausse les épaules: «Voilà. Rien d’original. On voulait élargir la vie sexuelle. Et puis, comme on dit, il n’y a pas de mal à se faire du bien.» De nombreux échangistes racontent qu’ils se sont lancés, comme ça, presque par hasard. Mais, en fait, la décision a souvent été longuement mûrie. Les femmes ont, pour la plupart, mis du temps avant d’accepter un fantasme, qui reste encore essentiellement masculin. Patricia, employée dans une maison de retraite, a longtemps résisté. Faire l’amour à plusieurs? Impensable quand on a été élevée chez les sœurs et mariée à 19ans. Et l’approche de la quarantaine l’a fait méditer: «Je me suis dit: "Merde, je vieillis, il ne faudrait pas passer à côté de certaines choses." J’ai essayé. Fabuleux, ma vie a complètement changé.»


Chacun son histoire, et sa formule: soirées en club ou buffet campagnard à domicile, deux fois par semaine ou deux fois par an, triolisme, échangisme, mélangisme, à tendance SM ou fétichiste… Mais les mêmes expressions reviennent, comme une leçon apprise par cœur. «Faut pas mourir idiot.» C’est comme une «cerise sur le gâteau», qui vient «briser la routine», mettre du «piment dans le couple». Ceux-là ont trouvé leur solution au grand dilemme de l’Homme moderne, «le besoin de se ressourcer dans un cocon et de vivre sans cesse de nouvelles sensations» (voir l’entretien avec Willy Pasini). Et l’amour dans tout ça? «Rien à voir avec le sexe», répètent-ils. Eux, ils s’aiment et, croyez-les, bien plus que ceux qui mènent une double vie. Eux, ils s’aiment et, croyez-les, bien plus encore depuis qu’ils partagent ces petites gâteries. «Je regarde aujourd’hui mon épouse comme je ne le faisais plus depuis longtemps, s’étonne Pierre, un chauffeur de taxi marié depuis vingt ans. Il m’arrive même de me réveiller la nuit pour lui caresser les cheveux.» Claire, 26ans, infirmière: «Ça a complètement sauvé notre couple. On s’est redécouvert. On a retrouvé du désir l’un pour l’autre.» Et le plaisir ultime, tous, hommes et femmes, le disent, c’est de se retrouver dans le lit conjugal après une belle partie de jambes en l’air. Revanche de la vie simple sur les grands frissons. Jacques, un gaillard du BTP, rencontré un soir dans l’un des plus anciens clubs échangistes de Paris: «On est là seulement pour jouir les uns des autres. Tout ça, c’est rien. Seulement un jeu.»
Une minorité joue à se faire plaisir en bravant les conventions et les interdits. Quoi de plus légitime finalement. Certes, mais au temps de l’individualisme triomphant, à l’heure où chacun cherche à se différencier, ces comportements risquent de devenir une tendance, une mode et peut-être même une norme.A force d’en parler, de les valoriser, ils pourraient bien influer de manière insidieuse sur nos vies.Pour le philosophe Dominique Folscheid (voir entretien), « ils ont déjà contribué à complètement bouleverser l’imaginaire amoureux de l’époque ». Ils viennent encore renforcer le discours ambiant du «tout faire, tout essayer». L’idée qu’une vie réussie passe obligatoirement par une sexualité de folie. Qu’il faut coûte que coûte entretenir le désir, satisfaire ses fantasmes et jouir, jouir jusqu’à 80ans. Selon Philippe Brenot, directeur d’enseignement en sexologie à l’université Paris-V, «ce vent de liberté culpabilise une bonne partie des gens. La banalisation dans le langage des pratiques échangistes, SM, du porno crée de nouvelles normes». Le sexologue Jacques Waynberg va plus loin: «La moindre défaillance du désir est devenue suspecte. Les couples passent leur temps à faire un audit sur la qualité de leur vie sexuelle. Le smic traditionnel: un ou deux rapports par semaine de sept minutes et demie n’est plus acceptable. Tant mieux, à condition de ne pas sombrer dans l’angoisse et l’obsession.»


Dans le secret de leur cabinet, les spécialistes sont confrontés désormais à d’étranges questions: «Trois fois par mois, c’est grave docteur?» «Je n’ai pas un orgasme à chaque fois…» «Je n’ai pas envie d’essayer l’amour à plusieurs, c’est normal?» Ces patients-là ignorent que d’autres demandent de l’aide parce qu’à 40ans déjà ils n’ont plus jamais envie, ou parce qu’à 25 ils ont peur de faire l’amour. Non, tout le monde n’a pas la vie sexuelle de Catherine Millet. Mais personne n’ose le dire. Les fantasmes de l’époque exercent une pression insoupçonnable. C’est le thème de «Sept Ans de mariage», le dernier film de Didier Bourdon, sauvé par Catherine Frot, excellente en grande bourgeoise coincée. Son mari, médecin, décide de tout lui infliger – films pornos, sex-shop et boîtes échangistes – pour réveiller sa libido… Ce mauvais scénario se produit aussi, parfois, dans la vraie vie. Alexandra, 21ans, est serveuse dans un restaurant près d’Amiens. Son copain, éducateur, a récemment vu le documentaire de Daniel Karlin, «Et si on parlait d’amour», qui aurait pu s’intituler «Et si on parlait d’échangisme»… Un soir, il lui a confié que lui aussi aimerait bien essayer: «Tu sais, ça se fait maintenant.» Elle a fini par se laisser entraîner. «J’ai juste accepté de me faire caresser, pour lui. C’est vraiment pas mon truc, mais je crois que je ne vais pas pouvoir y couper…» Sur les forums de discussion, des internautes s’interrogent: «Avez-vous déjà eu une expérience à plusieurs? Mon mec le demande? Qu’est-ce que je dois faire?» «Les femmes seront les grandes perdantes, s’inquiète le psychiatre Philippe Brenot. Elles vont croire qu’il faut en passer par là pour ne pas perdre leur compagnon, comme elles se sentent aujourd’hui obligées d’accepter la fellation ou la sodomie.»
Mais la pression ne vient plus seulement des hommes. Nathalie a la trentaine, deux enfants, un poste de direction dans un hôpital. Une vie heureuse mais un peu morne, un désir qui s’émousse: «Je commençais à regarder autour de moi pour la première fois après dix ans de mariage.» L’échangisme, dont lui avait parlé un ami, lui a paru soudain moins impensable. Elle a convaincu son mari d’aller dans un club «comme ça, par curiosité». Lui qui n’avait jamais fumé a vidé la moitié d’un paquet de cigarettes. Et il n’a jamais pu lui faire l’amour.
Beaucoup de couples reviennent emballés de ces expériences, mais d’autres se perdent. Jalousie, traumatisme de voir l’autre dans des bras inconnus, crainte de ne plus être aimé ou de ne plus savoir aimer… «Il faut avoir une grande maturité affective et érotique pour aller dans ce genre d’endroits», prévient le sexologue Jacques Waynberg. «Surtout, ne pas s’y aventurer pour sauver son couple.» Julien, 24ans, un visage d’enfant sous des airs de play-boy, a goûté aux clubs échangistes entraîné par son directeur de stage. Ses copains de fac l’écoutaient, verts de jalousie, raconter ses aventures. Et puis Julien est tombé amoureux. Au bout de six mois, il a voulu initier sa copine. Leur histoire s’est aussitôt terminée. «Je n’ai pas supporté de la voir prendre son pied avec un autre.» Julien ne sait pas s’il pourra, un jour, nouer une relation stable. «Je me lasse très vite. Je n’arrive plus à rester six mois avec une même nana. J’ai peur.» Il réalisera sans doute un jour que la routine n’épargne personne, même les plus grands libertins. Martine, kiné dans la région d’Aix-en-Provence, a donné dans l’échangisme pendant dix ans avec son mari, prof d’art dramatique. Elle s’est convertie au départ pour lui et s’y est beaucoup plu: de belles rencontres, des fêtes, le plaisir d’être constamment convoitée… Mais, aujourd’hui, la jeune femme est lasse: «J’ai l’impression qu’on m’a lâchée dans une pâtisserie alors que je n’avais pas spécialement faim. J’ai mangé tous les gâteaux et je suis écœurée. Maintenant, j’ai simplement besoin d’amour.»


Sophie des Deserts

Semaine du jeudi 24 juillet 2003 - n°2020 - Le Nouvel Observateur

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