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Jeudi 24 février 4 24 /02 /Fév 00:00

Le cinéma X:  produit médiocre, produit culturel ? 

La suite de l'analyse présentée hier soir.Bonne lecture

Une façon radicale de situer la vastitude du problème posé par le cinéma dit X consiste à s'en tenir à la rigueur très hard des chiffres bruts : le porno, combien de divisions ? Aujourd'hui, le cinéma hollywoodien standard, réputé le plus puissant du monde, produit un maximum d'environ 400 films par an. Pendant ce temps, dans ce même grand et beau pays, l'industrie du cinéma porno en produit à peu près 10 000... Aux Etats-Unis toujours, plus de 700 millions de cassettes et DVD porno sont loués chaque année et les revenus générés par l'industrie du cul dans sa globalité (films, magazines, télévision, Internet) sont estimés entre 10 et 14 milliards de dollars (de 7,5 à 10,5 milliards d'euros). Un chiffre dont le New York Times a calculé qu'il était non seulement supérieur à celui de l'industrie hollywoodienne classique mais qu'il devançait aussi celui du football, du basket et du base-ball professionnels réunis ! Face à un tel stakhanovisme, qui pourrait encore prétendre que la profession du X est un ramassis de branleurs ?

En France, le cinéma porno échappant à la tutelle du CNC, aucun chiffre fiable n'est donc disponible, mais on estime néanmoins que les proportions sont équivalentes. Le paysage télévisuel lui-même est fort éloquent sur ce point : pas plus tard que samedi dernier, autour de minuit, une bonne douzaine de films pornos s'infiltraient sur les canaux satellitaires et câblés du spectateur français. Un tel rapport de force devrait suffire à prendre, ne serait-ce qu'un instant, le cinéma porno au sérieux, à la fois comme bloc culturel opaque, colossal mais tabou, et comme chapitre considérable de l'histoire de la sexualité humaine et de ses représentations.

Ce début de considération est en train de voir le jour aux Etats-Unis, sur le campus californien de Berkeley, toujours à la pointe, où les «Porn Studies» ont vu le jour sous la houlette déterminée de la professeure Linda Williams, qui enseigne là-bas le cinéma et la «rhétorique», et dirige depuis cinq ans le département des Film Studies. On peut sans risque associer Linda Williams à sa collègue de fac Judith Butler (1) ou à Eve Kosofsky Sedgwick (2), et à tous les chercheurs américains qui ont travaillé sur la sexualité dans la tradition de Michel Foucault, avec lequel Linda Williams tient à revendiquer une filiation.

Linda Williams a donné ses premiers cours sur la pornographie en 1994, quelques années après avoir assis sa réputation universitaire avec Hard Core, son premier essai sur le sujet (lire page III). Avec ses étudiants, elle a défriché aussi bien les champs du porno underground que du porno standard, celui du porno pionnier et celui du porno contemporain. Toutes les typologies du porno l'intéressent, qu'il soit hétérosexuel, homo, lesbien, sadomaso, bisexuel, fétichiste, interracial... Chacune des dix semaines qu'a duré ce cours inaugural comprenait la projection d'un ou deux longs métrages, à la suite desquels étaient analysés et discutés d'un point de vue critique les concepts de plaisir et de pouvoir. Au fil des ans, de cours en séminaires, Linda Williams s'est spécialisée dans ce domaine que les disciplines universitaires classiques ont longtemps ostracisé. Le bilan de ces études a été publié il y a quelques mois sous le titre Porn Studies, certainement le recueil d'essais et d'analyses les plus passionnants jamais rassemblés sur cette brûlante question.

 Sur d'innombrables points, c'est un livre du dessillement : les problèmes que soulève le cinéma pornographique y sont posés d'une façon entièrement revivifiée et l'on mesure vite, à la lecture des nombreux essais qui composent l'ouvrage, que l'étude académique de la pornographie est un levier intellectuel formidablement libérateur, qui permet d'appréhender sous des perspectives nouvelles non seulement des questions sexuelles, ce qui tombe sous le sens, mais aussi politiques, sociales, raciales, esthétiques. La principale révolution symbolique à laquelle est conduit le lecteur de Porn Studies tient sans doute à son propos politique implicite, que l'on pourrait résumer ainsi : l'histoire du cinéma pornographique est d'abord une histoire de la démocratisation de la pornographie.

En d'autres termes, le cinéma X consacre l'accès massif des classes moyennes et populaires à une culture de la représentation sexuelle jusque-là réservée à l'élite des intellectuels et des nantis. Exemple historique frappant : la découverte, en plein XIXe victorien, et tandis que s'élaborait le concept même de pornographie, des fameuses fresques sexuelles de Pompéi. La réaction «scientifique» immédiate a été de les soustraire secrètement aux yeux du public, pour en réserver les usages à une élite de savants, historiens de l'art, notables, exclusivement masculins, dans des salles privées du musée Borbonico. D'une certaine manière, la culture pornographique populaire d'aujourd'hui est le témoin du chemin parcouru depuis la découverte de ces fresques «indécentes», et le cinéma X contemporain raconte à sa façon l'histoire de la réappropriation de cette culture par ceux auxquels elle était préalablement refusée, c'est-à-dire les classes dominées mais aussi les femmes (éloquente étude de mangas sexuels à destination du public féminin nippon).

On voit bien la charge subversive potentielle qu'un tel discours charrie. Dans son introduction, Linda Williams prend un malin plaisir à mettre en parallèle la prolifération objective de la pornographie aux Etats-Unis (mais la démonstration serait valable pour le monde entier : le porno étant lui-même vecteur et agent de la globalisation, il fleurit actuellement partout et à toute vitesse) avec le contenu de certaines polémiques fameuses, comme le rapport du procureur Starr sur l'affaire Clinton-Lewinsky ou celui du sénateur Jesse Helms contre les «dirty photos» de Robert Mapplethorpe, deux monuments de faux-culterie puritaine qui prétendaient bannir ce dont ils se délectaient. La démonstration paradoxale des «Porn Studies» tient dans ce renversement : nous appelons «ob/scène» (ce qui doit rester caché de la «scène», de la vision) ce qui est en réalité devenu «on/scène», et fait partie intégrante du paysage de nos vies. Réglant au passage son compte à l'opposition hypocrite entre le «bien» de l'érotisme et le «mal» de la pornographie, Linda Williams établit finalement le cinéma pornographique comme «une forme culturelle qui influence la vie d'une large variété d'Américains, et qui doit être prise en compte dans l'évaluation que nous faisons nous-même de notre culture».

 Olivier SEGURET 23 02 2005 Liberation

 

 

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