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Jeudi 20 janvier 4 20 /01 /Jan 00:00

Le sexe, des corps sans coeur, des coeurs sans corps, vaste sujet ...

bonne lecture.

Enlevez l’amour... Qu’est-ce qu’il reste? De tristes histoires avec «orgasme laïque, gratuit et obligatoire». Démonstration

Le Nouvel Observateur. – Diriez-vous, comme Jean-Claude Guillebaud, que nous sommes aujourd’hui soumis à une «tyrannie du plaisir»?
Dominique Folscheid. – Oui, mais ce n’est à mon sens qu’une conséquence de ce que j’appelle l’impérialisme du sexe. En observant la publicité, les magazines, les émissions de radio et de télé-réalité, le succès de livres comme ceux de Michel Houellebecq ou de Catherine Millet, je me suis demandé ce qu’il y avait derrière ce grand tapage sexuel, derrière ce discours dominant qui prône une sexualité libératrice et libérée, ludique, jouissive et mécanique. J’en ai découvert les racines dans la révolution anthropologique et scientifique du xviie siècle, avec l’invention du corps-machine par Descartes, devenu «l’homme-machine» de La Mettrie, en 1748. Le retentissement en a été immédiat dans les œuvres de Sade. Dans cette lignée, on retrouve plus tard Charles Fourier, auteur d’une utopie dans laquelle l’échangisme est érigé en système (avec des «parties carrées», «sextines» et «octavines»). Enfin il y a eu la grande vague d’inspiration psychanalytique, avec notamment Wilhelm Reich. Tout cela a été théorisé bien avant la révolution sexuelle des années 1960. Depuis, le sexe a quitté la marginalité pour devenir «social-démocrate», comme dit Houellebecq. Nous nous trouvons en face d’un mouvement de fond qui touche toutes les sociétés occidentales et tend à gagner les autres.

N. O. – Comment l’expliquer? Est-ce un avatar du système capitaliste?
D. Folscheid. – Question difficile… Plus largement, nous sommes dans le cadre des dérives majeures de la modernité. Comme le sexe est de nature consu-mériste, au sein d’une société consumériste, sa banalisation et sa géné-ralisation sont évidemment liées à l’essor du système marchand. Il y a aujourd’hui un marché du sexe, extrêmement juteux. Mais ce phénomène est aussi solidaire du développement de la technique. La PMA (procréation médicalement assistée), qui n’est au départ qu’un remède contre l’infécondité, a pris une place majeure dans notre imaginaire social. Au sein de cette sexualité clivée, dissociée, le sexe est devenu une entité à part, déconnectée de la procréation mais aussi du cœur. Aux Etats-Unis, un million de jeunes hommes se seraient fait stériliser après avoir stocké leur sperme en banque, pour pouvoir jouir pleinement. Voyez les magazines de cet été, qui titrent sur les nouveaux jeux du sexe – autre façon de dire que le sexe est un jeu et ceux qui s’y adonnent des jouets. Sans oublier ces émissions de télé-réalité qui proposent d’élire la plus grande séductrice, ou de récompenser le meilleur briseur de couples.

N. O. – Mais cette pratique du sexe n’a pas pour autant tué l’idéal du grand amour…
D. Folscheid.– C’est exact. 90% des jeunes rêvent de l’amour fou et considèrent dans le même temps le sexe comme une activité banale, hygiénique et festive. Les corps sont complètement désinvestis. «Entre nous, ça n’est que du sexe», entend-on souvent. On a d’un côté des corps sans cœur et, de l’autre, des cœurs sans corps. D’où l’apparition étonnante d’un néoromantisme forcené. Plus le sexe devient une activité banalisée, plus on rêve au grand amour. Remarquez ce que disent une bonne partie des adeptes du sexe ludique: «Je préfère l’échangisme en club plutôt qu’une relation continue bas de gamme… en attendant le coup de foudre.»

N. O. –N’êtes-vous pas précisément en train de produire ce que vous dénoncez, un discours général selon lequel tous les Français s’adonnent au sexe sans limites et sans complexes? La plupart des gens ne vivent pas comme ça, et parviennent même parfois à réunir le cœur et le corps…
D. Folscheid. – Certes, l’attitude majoritaire n’est évidemment pas celle-là. Beaucoup de gens doivent être effarés par ces pratiques. Mais du seul fait qu’on en parle de plus en plus, qu’on les présente comme répandues, naturelles, normales même, on produit un discours qui n’a rien d’anodin et qui a des effets. Il a, à mon sens, complètement bouleversé l’imaginaire amoureux de l’époque.

N. O. – Vous voulez dire qu’il nous soumet à une pression insidieuse?
D. Folscheid. – Oui, car il peut engendrer un certain désarroi, donner l’impression que l’on n’est pas dans le coup, que l’on est nul, parce que les films pornos érigent en modèles des performances à la fois surhumaines et inhumaines. L’orgasme est devenu comme l’école: laïque, gratuit et obligatoire. Ceux qui ne l’atteignent pas sont des ratés. D’où le succès du discours sur la «misère sexuelle», dont tout le monde peut se sentir victime. Dans la mesure où l’on a converti le désir en besoin de sexe, on fabrique des cohortes entières de frustrés. Et ne parlons même pas des jeunes générations, qui ont l’imaginaire, l’esprit et même le vocabulaire formatés par le porno!

N. O. – Mais certaines personnes se disent aussi libérées, heureuses de découvrir de nouvelles pratiques…
D. Folscheid. – Une partie de la population, probablement un peu instable, pas très heureuse en amour, est prête à tomber dans le piège du «il faut tout essayer». C’est la conséquence logique de l’impérialisme du sexe, qui transforme les partenaires en objets interchangeables. Au bout du compte le sexe n’a même plus de sexe: il requiert simplement le branchement d’éléments pénétrants sur des creux. Il faut aller toujours plus loin. Mais cette quête indéfinie engendre à la fois frustration et curiosité incessante. On espère toujours qu’un coup de plus apportera un nouveau frisson.

N. O. – Mais est-ce finalement si grave? Ne tombez-vous pas dans un moralisme excessif?
D. Folscheid. – On est en deçà de tout débat moral. Avoir l’imaginaire et le regard formatés au sexe ne peut qu’appauvrir le côté relationnel et amoureux de l’existence. Il y a aussi une perte considérable au niveau du désir, donc de l’érotisme. Derrière cet «essayisme» généralisé, ce culte de l’échangisme, se cache l’aveu d’un désir en panne. On attend qu’un tiers, érigé en rival, vienne raviver son propre désir. Ce sont ceux-là qui disent : «J’adore voir ma femme prendre son pied avec d’autres hommes.» Et la société les pousse: «C’est très bien, au moins, vous n’êtes pas jaloux!» Toute la perversité du système actuel est qu’il milite sans cesse pour l’interdiction des interdits. Il désarme donc la critique (qui aime les interdits?). Mais il se voit contraint de susciter sans cesse de nouveaux interdits pour pouvoir les transgresser! Regardez la presse: elle n’en finit pas de faire sa une sur le thème: «Sexe: le dernier tabou à vaincre». En réalité, il n’y en a plus, à part la pédophilie.

N. O. – L’omniprésence actuelle du sexe traduirait une certaine angoisse sociale?
D. Folscheid. – Autrefois on parlait de la mort, jamais de sexe. Aujour-d’hui, on occulte la mort et on est polarisé sur le sexe. C’est le symptôme d’une société adolescente, fascinée par l’immédiateté. En baisant, on tente de vaincre les angoisses de la condition humaine

N. O. – Vous prédisez un avenir bien sombre…
D. Folscheid. – Avant de sortir de la crise, on risque de voir apparaître un néopuritanisme forcené, tourné contre la sexualité en général. On en perçoit çà et là des prémices, avec des débordements sectaires dans le monde anglo-saxon (par exemple, l’engagement dans certains groupes de ne plus faire d’enfants…). Rien ne dit qu’une partie non négligeable de la population ne refuse pas aujourd’hui la sexualité, tout en se taisant, par peur d’apparaître anormale ou ringarde. Certains mouvements conservateurs peuvent ainsi tirer leur épingle du jeu, comme ces groupes islamistes dont l’audience est croissante dans certaines banlieues. Ni alcool ni sexe, et le voile pour les filles… Bref, on fait de la casse, avec des malheureux dans la vie et de nouveaux clients pour les psys.

Dominique Folscheid est professeur de philosophie à l’université de Marne-la-Vallée. Il a notamment publié «Philosophie, éthique et droit de la médecine», PUF, 1997, et «Sexe mécanique. La crise contemporaine de la sexualité», La Table ronde, 2002.

Le nouvel observateur - jeudi 24 juillet 2003

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